SEMARD Pierre
Né le 15 février 1887 à Bragny-sur-Saône (Saône-et-Loire)
Fusillé comme otage le 7 mars 1942 à Évreux (Eure).
Fils d’un cantonnier et d’une garde-barrière du réseau PLM, Pierre Semard passe son enfance en Bourgogne. Après son certificat d’études primaires, il travaille chez un notaire avant de chercher un métier à Paris. Un temps apprenti charcutier, il prend sa première carte syndicale à la fédération CGT de l’alimentation. En 1907, il devance l’appel et s’engage pour trois ans. En résidence à Valence (Drôme), il s’y marie avec la fille d’un marchand de primeurs.
Revenu à la vie civile, il passe un examen pour entrer au PLM comme facteur aux écritures [employé commercial] puis, après avoir occupé divers postes (Montélimar et Bagnols-sur-Cèze), il entre au secrétariat du chef de gare. Il éprouve des difficultés à se faire admettre au syndicat, ses fonctions incitant ses camarades à la méfiance.
Lors de la Première Guerre mondiale, père de trois enfants, il est mobilisé sur place à Valence. Son engagement syndical lui vaut d’être écarté du secrétariat du chef de gare pour être muté au service des trains. Délégué au premier congrès de l’Union des syndicats du PLM à Avignon (5-6 mai 1917), ses talents d’orateur ne passent pas inaperçus. Très actif sur le plan interprofessionnel au sein de l’Union CGT Drôme-Ardèche, il en devient rapidement le premier responsable. En 1916, après la conférence de Kienthal organisée par les opposants à la guerre, il adhère au Parti socialiste. Mobilisé fin 1918, envoyé en Belgique, il revient très vite à Valence. Sa femme, atteinte de la grippe espagnole, meurt le 3 mars 1919, le laissant veuf avec trois enfants à charge. Une forte solidarité l’entoure, lui permettant de poursuivre ses activités militantes.
Militant affirmé de la CGT, Pierre Semard devient en 1920 l’un des principaux dirigeants nationaux de la Fédération nationale des cheminots. En février, il anime en compagnie de Lucien Midol la grève sur le réseau PLM. Révoqué le 8 mai 1920, il se remarie en juin avec Juliette Contier, employée au télégraphe en gare de Valence, elle-même révoquée. Pour subvenir aux besoins de sa famille, il devient gérant de la coopérative des cheminots.
Mais bien vite, l’activité syndicale l’accapare et l’amène à Paris l’année suivante. La scission au sein de la CGT étant en marche, Pierre Semard regroupe des révolutionnaires qui constituent la CGTU. Il en est l’un des principaux animateurs parmi les cheminots, mais prend par la suite également des responsabilités confédérales, l’un des rares membres de la commission exécutive à le rester durant quinze ans, de 1921 à 1936, date de la réunification. Il représente la CGTU à la conférence d’Essen en Allemagne, pour tenter d’empêcher la réoccupation de la Ruhr. À son retour, il est arrêté et fait son premier séjour à la prison de la Santé du 10 janvier au 7 mai 1923.
Ayant choisi le Parti communiste au congrès de Tours, il reste néanmoins attaché à l’autonomie syndicale. Avec Gaston Monmousseau, il rencontre Lénine en novembre 1922 et obtient que cette autonomie soit reconnue par ce dernier. La direction du PCF étant peu ouverte aux militants d’origine ouvrière, c’est l’Internationale communiste qui en fait, par sa volonté, le secrétaire général du PC le 11 août 1924. Il faut attendre le congrès de Lyon en juin 1926 pour que son autorité s’affirme. Opposé à la guerre du Rif, il fait un nouveau séjour à la Santé pendant le second semestre de 1927, puis est libéré le 8 janvier 1928.
À la suppression du poste de secrétaire général du PC en septembre 1928, Pierre Semard reprend des activités au sein de la Fédération des cheminots CGTU, dès l’automne 1933. Il reste membre du bureau politique du PCF et, en mai 1935, il est élu conseiller général de Drancy ; il l’est jusqu’en 1939. Le 26 juin 1934, après le congrès, il redevient secrétaire général de la Fédération CGTU. Il s’implique fortement dans la marche vers l’unité, qui est réalisée le 10 décembre 1935, Pierre Semard devenant secrétaire dans une direction paritaire. Le congrès de 1938 rétablit la fonction de secrétaire général, qui sera alors occupée par Jean Jarrigion pour l’ex-CGT et Semard pour l’ex-CGTU.
Très présent dans les débats sur la création de la SNCF et les questions de politique des transports, il devient l’un des quatre membres du conseil d’administration de la SNCF au titre de la représentation des cheminots, le seul de l’ex-tendance unitaire. Se considérant comme le mandataire des syndiqués, il y intervient toujours de manière précise et documentée dans le but d’y présenter des propositions allant dans le sens de la modernisation et de la démocratisation de la nouvelle entreprise. Il préconise ainsi que la SNCF rompe avec les anciens réseaux et adopte une organisation en grandes régions. La grève du 30 novembre 1938 est lourde de conséquences. Pour avoir signé les tracts appelant à la grève, les deux secrétaires généraux membres du conseil d’administration, Jarrigion et Semard, sont démis de cette instance. Traduit devant le conseil de discipline, Pierre Semard est rétrogradé à son emploi de début, facteur aux écritures, et muté à Loches (Indre-et-Loire).
Les divisions latentes s’exacerbent au sein de la direction fédérale, où les deux tendances s’affrontent au sujet du pacte germano-soviétique. Ceux qui le soutiennent sont exclus le 25 septembre 1939 des instances de direction. Pierre Semard, qui juge antistatutaire cette mesure, demande au trésorier Tournemaine de bloquer en banque les cotisations des adhérents. L’autre secrétaire général, Jarrigion, dépose alors plainte pour détournement de fonds. Arrêté le 20 octobre 1939, Pierre Semard se retrouve une nouvelle fois à la Santé. Il comparaît, ainsi que Tournemaine, le 6 avril 1940 devant le Tribunal militaire. Dès le début du procès, la plainte pour détournement de fonds tombe d’elle-même ; reste l’infraction au décret du 26 septembre 1939 prononçant la dissolution du PCF. À ce titre, ils sont l’un et l’autre condamnés à trois ans de prison.
Le 9 mai 1940, Pierre Semard est révoqué une seconde fois de la SNCF et transféré à la prison de Fresnes. Onze jours plus tard, il est évacué à Bourges où il est incarcéré pendant près de dix-huit mois. Sa femme Juliette est arrêtée en aout 1941 et sa fille Yvette début 1942. Il écrit beaucoup en prison, des contes, un roman antiraciste, et reprend l’écriture de son Histoire de la fédération des cheminots arrêtée en 1934. Au début de l’année 1942, il est transféré au camp d’internement de Gaillon puis conduit, le 6 mars, à la prison d’Évreux, où il est fusillé comme otage le lendemain par les autorités allemandes.
Sa mort provoque un énorme choc dans la corporation. Une lettre en direction des cheminots renforce l’engagement de ceux-ci dans la lutte contre l’occupant nazi. Après la Libération, à Paris, la rue Baudin où était le siège de la Fédération des cheminots CGT prend le nom de Pierre-Semard. Ce nom est ensuite souvent repris et l’est encore aujourd’hui pour de nombreuses rues et places, notamment à proximité des gares.
Photo : Institut d’histoire sociale CGT Cheminots.
Sources : SNCF, dossier archives du personnel, Béziers ; Service historique de la défense, DAVCC, dossier statut ; IHS CGT Cheminots ; Rail et mémoire ; Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français.
Extrait de l’ouvrage Les Cheminots victimes de la répression, 1940-1945. Livre mémorial (Paris, Perrin/Rails et histoire/SNCF, 2017).