Né le 9 avril 1903 à Fougères (Ille-et-Vilaine)
Condamné à mort et fusillé le 30 août 1941 à Nantes (Loire-Inférieure).
Marin (Alain) Poirier, cuisinier à Paris avant de partir cinq ans sur les océans, entre aux Chemins de fer de l’État en décembre 1925 comme cantonnier. En 1940, il est garde-barrière au passage à niveau 38 de la place de la Bourse à Nantes, où il habite chemin de la Gaudinière avec sa femme, Eugénie Fourrage.
Dès le début du conflit, militant SFIO, il œuvre au sein du Comité d’entente des anciens combattants, spécialement créé pour la circonstance sous la présidence de Léon Jost. Son rôle est, en effet, d’épauler les pouvoirs publics dans l’application des mesures de défense passive et dans l’assistance apportée aux réfugiés et aux mobilisés. Il apporte une contribution appréciée dans un milieu qu’il connaît bien : lui-même est un vétéran de la campagne du Maroc, membre de l’Union des camarades des tranchées. Avec la défaite, cette organisation se mue en un Comité d’aide aux prisonniers autorisé par l’occupant, alors que des milliers de soldats français capturés sont parqués dans des camps de transit, notamment à Châteaubriant, à Savenay et à Nantes, dans l’attente de leur transfert vers l’Allemagne.
Là encore, Marin Poirier répond présent et c’est ainsi qu’il entre très tôt dans la Résistance organisée alors que son refus s’était déjà traduit en actes, notamment le sabotage des camions britanniques abandonnés dans la débâcle sur le petit port pour que l’ennemi ne puisse pas les utiliser. Dès l’été 1940, il entre donc dans le mouvement Bouvron-Nantes fondé par Auguste Bouvron, au sein du groupe Bocq-Adam. Marin Poirier a été contacté par Henri Adam, dont l’adjoint, Roger Astic, est en relation avec le réseau du musée de l’Homme Hauet-Vildé. Sous couvert du Comité d’aide aux prisonniers, c’est toute une filière d’évasion qui se met en place avec Paul Birien, Joseph Blot, Auguste Blouin, Alexandre Fourny (membre du réseau Georges-France 31), Georges Grandjean, Léon Jost, Marcelle Littoux et Fernand Ridel, à laquelle Marin Poirier apporte naturellement sa contribution. Il faut fournir des vêtements et des faux papiers aux évadés, les acheminer par chemin de fer ou par un réseau de passeurs vers la ligne de démarcation. Il les convoie ainsi vers la zone libre par une des deux voies empruntées par l’organisation, via Angoulême (Charente) et La Rochefoucauld, où ils sont pris en charge par un garçon de café.
Parallèlement, il transmet à Henri Adam des renseignements sur le trafic ferroviaire allemand et participe aussi à des coups de main, comme la tentative de destruction à l’aide d’une bombe artisanale du Soldatenheim (« foyer du soldat ») de la place Royale, le 26 décembre 1940. Les jours des membres du groupe sont cependant comptés : l’ampleur des évasions des prisonniers français conduit la Geheimfeldpolizei (GFP, police secrète de campagne) à enquêter. Elle y parvient sans trop de difficultés, assistée d’un collaborateur qui n’est autre que le nouveau président de l’Union fédérale des anciens combattants.
Le 20 janvier 1941, au cours d’un vaste coup de filet, Marin Poirier est arrêté à son lieu de travail par la GFP et écroué à la maison d’arrêt de Nantes. Sur lui et à son domicile sont découverts des itinéraires pour conduire les prisonniers en zone libre et des cartons de reconnaissance portant un numéro, mais aussi des fausses cartes d’identité et des cartes d’alimentation. En outre, un tract gaulliste est trouvé dans son portefeuille. Le 15 juillet 1941, les membres du groupe comparaissent devant le tribunal militaire de la Feldkommandantur 518 de Nantes [commandement militaire de l’armée d’occupation], qui prononce des peines de détention à leur encontre. Marin Poirier est condamné à quatre ans et deux mois de réclusion en pénitencier (Zuchthaus), avec confusion des peines, pour complicité d’intelligence avec l’ennemi (Beihilfe zur Feindbegünstigung) et de non-remise d’un tract antiallemand.
Mais le 16 août, le commandant militaire allemand en France (MBF) annule le jugement le concernant. Marin Poirier est donc renvoyé devant la juridiction du chef de la circonscription militaire B d’Angers (Maine-et-Loire) qui, le 27 août, lui inflige la peine de mort pour intelligence avec l’ennemi (Feindbegünstigung). Auguste Bouvron, le chef de l’organisation, étant en fuite, le rôle de Marin Poirier semble être passé au premier plan. De plus, son cas s’est trouvé aggravé par les déclarations d’un codétenu auquel il a confié être « un ennemi acharné des Allemands ». C’est en vain que le bâtonnier Guinaudeau, le défenseur de Marin Poirier, et le professeur Duméril, l’interprète de la préfecture, déposent un recours en grâce. Ce second jugement est entériné et rendu exécutoire par le MBF le 30 août 1941. Il est fusillé à 12 h 15.
Le professeur Duméril a relaté les derniers instants de Marin Poirier : « Le condamné a refusé de se laisser attacher au poteau et bander les yeux. L’abbé Fontaine est resté à côté de lui pendant que le peloton se préparait, puis l’a embrassé et s’est écarté d’environ trois mètres. M. Poirier a crié d’une voix forte : “Je suis innocent. Vive la France !”, puis est tombé foudroyé […]. » Peu de temps après sa mort, son corps est transporté et inhumé au cimetière de Saint-Julien-de-Concelle avec ceux d’autres fusillés. Au printemps 1945 à lieu leur exhumation et l’identification par les familles. Depuis, Marin Poirier repose au cimetière de La Chauvinière. Quant à ses compagnons jugés avec lui le 15 juillet, ils furent exécutés comme otages le 22 octobre 1941, en représailles à l’assassinat du Feldkommandant de Nantes. Marcelle Littoux fut déportée en Allemagne dans le cadre de la procédure NN. Le titre d’Interné résistant a été attribué à Marin Poirier, le premier fusillé nantais, le 14 juin 1961. Le 14 novembre 1948 est inauguré dans un quartier de cheminots, place du Vieux-Doulon à Nantes, un monument à sa mémoire représentant son buste. La cité cheminote du Vieux-Doulon porte son nom, ainsi qu’une salle de réunion SNCF située aux ateliers du Grand-Blottereau où trône une réplique de son buste. Deux rues perpétuent sa mémoire, à Savenay et à Bouguenais.
Stéphane Robine
Photo : Marin Poirier. Archives familiales. Association Rail et Mémoire.
Sources : SNCF, 118 LM 109/2 ; SNCF, 2009/001/ÉTAT/828/1 ; SHD DAVCC, 21 P 526688 ; SHD, 28 P 8/38/3 ; AN, F 60/1570 n° 78 ; Institut d’histoire sociale CGT Cheminots ; RM (discours de Carlos Fernandez le 30 août 2011) ; CGC ; C. Pennetier, J.-P. Besse, T. Pouty et D. Leneveu (dir.), Les Fusillés, 2015.
Extrait de l’ouvrage Les Cheminots victimes de la répression, 1940-1945. Livre mémorial (Paris, Perrin/Rails et histoire/SNCF, 2017).